Il faut le répéter: la crise sanitaire, accompagnée de ses restrictions en matière de déplacements, a un impact plus fort sur les personnes qui vivent près d’une frontière. Les frontaliers vivent, travaillent, font leurs courses en faisant fi de ces frontières. Pourtant, les mesures gouvernementales ne tiennent pas compte de cette réalité. La situation récente des métiers de contact, autorisés à travailler à Tourcoing et pas à Mouscron, en est une nouvelle illustration. Le dernier comité de concertation vient couper court à toute concurrence déloyale. Il est malgré tout plus que temps de donner un statut clair à ces régions.  J’ai interpellé les autorités à de nombreuses reprises à ce sujet. J’ai une fois de plus abordé le sujet ce lundi, interrogeant Elio Di Rupo sur un éventuel statut de transfrontalier. Statut qui prendrait réellement en compte les réalités des citoyens de ces zones.

Un régime d’exception

Attardons-nous ici ici sur le bassin de vie transfrontalier représenté par l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, présidée par Rudy Demotte. Une région que je connais particulièrement bien. 157 communes. 2,1 millions d’habitants dont quasi 800.000 frontaliers, c’est-à-dire vivant dans les communes adossées directement à la frontière. Ces citoyens sont en grande partie wallons : plus de 300.000 habitants domiciliés en Wallonie picarde. Aujourd’hui, près de 50.000 habitants continuent de traverser la frontière chaque jour. Que ce soit pour le travail, pour la famille, ou pour des déplacements liés à la vie quotidienne. Le Forum de la société civile de l’Eurométropole menait en octobre et novembre 2020 un sondage sur “l’impact des mesures sanitaires et l’effet frontière”. Résultat:  9 transfrontaliers sur 10 réclament un régime d’exception pour la zone transfrontalière.

Un statut fiscal spécial existe

A certains niveaux, les autorités ont trouvé des solutions. Dans le contexte sanitaire actuel, la Belgique a conclu un accord avec la France concernant la situation fiscale des travailleurs transfrontaliers. En raison du télétravail, de nombreux citoyens transfrontaliers – belges et français – travaillent en effet depuis leur pays de résidence. Cette situation peut avoir des conséquences fiscales. La Belgique et la France ont donc conclu un accord clarifiant la situation. Ne pourrions-nous pas en profiter pour conclure d’autres accords de ce genre, sur d’autres thèmes (déplacements, travail, santé, formation, études, loisirs…)?

Déplacements: peut-on se faire coiffer en France?

Pour faire court: non. Le comité de concertation se prononçait le 22 janvier dernier sur une interdiction temporaire des déplacements “non-essentiels”. On parle ici de voyages à des fins récréatives/touristiques, tant à destination qu’en provenance de la Belgique. L’interdiction court jusqu’au 1er mars. Si les frontaliers conservent le droit de se déplacer dans le pays voisins pour des “activités quotidiennes”, cela concerne seulement les activités autorisées en Belgique. Concrètement: on ne peut pas se faire coiffer ou tatouer en France, aussi longtemps que ce sera interdit en Belgique.

Extrait du communiqué officiel***: seuls les déplacements répondant aux motifs suivants sont désormais autorisés:

  • Famille : Regroupement familial, visites à un conjoint ou partenaire qui ne vit pas sous le même toit, dans la mesure où des preuves plausibles d’une relation stable et durable peuvent être fournies, déplacements liés à la co-parentalité, mariages civils et religieux, funérailles ou crémations (des alliés ou proches).
  • Raisons humanitaires: les déplacements pour des raisons médicales et la poursuite d’un traitement médical, assistance à une personne plus âgée, mineure, handicapée ou vulnérable, visite à des proches en soins palliatifs
  • Etude: les voyages des élèves, étudiants et stagiaires qui participent à un échange dans le cadre de leurs études, les chercheurs ayant un contrat d’hébergement.
  • Frontaliers : Déplacements liés à la vie quotidienne pour des activités qui sont également autorisées en Belgique;
  • Raison professionnelles pour l’exercice de l’activité professionnelle
  • Divers :Les soins aux animaux, les déplacements dans le cadre d’obligations juridiques (si elles ne peuvent pas être accomplies de façon numérique), les réparations urgentes pour la sécurité d’un véhicule et les déménagements sont également considérés comme essentiels.

Mieux que lors du premier confinement

Il faut le concevoir: des améliorations ont eu lieu depuis le premier confinement. Il reste toutefois des situations problématiques. Citons notamment le cas d’enfants qui passent les vacances chez leur père en France. A leur retour, ils doivent se mettre en quarantaine, ce qui leur complique la vie au niveau scolaire notamment… J’interrogerai la ministre Morreale à ce sujet cette semaine. Les règles sont floues, changeantes, et causent des frustrations de toutes parts. La création d’un statut clair et réfléchi pour nos bassins de vie transfrontaliers pourrait largement contribuer à résoudre ce problème.

Eviter une “énième structure”

Pourtant, il ne serait pas judicieux d’amener autour de la table une “énième structure” pour discuter de cette problématique. Experts, citoyens et acteurs de la société civile y travaillent déjà, au coeur de l’Eurométropole, qui pourrait ici jouer un rôle clé. “La crise sanitaire doit faire l’objet de discussions approfondies, pour ne pas laisser le sentiment qu’une partie de la population est délaissée.  Il ne s’agit pas de créer une structure supplémentaire mais bien de profiter de l’espace de concertation eurométropolitain – Groupement européen de coopération transfrontalière (GECT) de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai **- pour trouver des réponses à ces problématiques. (…) L’objectif serait notamment d’organiser des concertations politiques sur des sujets transfrontaliers tels que la mobilité, l’emploi ou la santé environnementale.” Elio Di Rupo indiquait dans sa réponse que le premier confinement avait permis de tirer de nombreux enseignements concernant la situation des frontaliers. Il suivra donc ce sujet avec attention.

Parler d’Eurométropole, c’est bien. Lui donner davantage de pouvoir, pour améliorer la vie des habitants, la productivité, l’efficacité, et ainsi renforcer le projet européen, c’est mieux.

Fatima Ahallouch


* soutenue par l’Alliance européenne pour les Citoyens transfrontaliers 

**Pour information, les partenaires du GECT de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai sont : 2 États : République française et Belgique. 4 Régions : Wallonie, Région Hauts-de-France, Fédération Wallonie-Bruxelles, Flandre ; Département du Nord et Provinces de Flandre occidentale et Hainaut. 5 intercommunalités : Ideta (Tournai), IEG (Mouscron), Leiedal (Courtrai), WVI (Roulers) et Métropole européenne de Lille.

***https://news.belgium.be/fr/le-comite-de-concertation-se-prononce-pour-une-interdiction-temporaire-des-voyages-et-un-isolement?fbclid=IwAR2SLvW09F8qdR0-EhhcYLEUX0ByVEQx7z_y5UNMu6nttdz4YIk-upGwcbc