On parle beaucoup de racisme et de discriminations, et l’actualité nous prouve jour après jour la gravité de ces réalités. Discrimination à l’embauche, au logement, racisme ordinaire, sexisme, les exemples sont légion. Mais quand est-ce que ça commence, tout ça? La Fondation Roi Baudouin a mené une étude sur le sujet. J’ai abordé les résultats de cette étude lors de la dernière Commission éducation de juin, et ai interrogé la Ministre Caroline Désir à ce sujet.

Les constats

Selon l’étude sur les afrodescendants menée par la Fondation Roi Baudouin entre 2016 et 2017, les premières expériences de racisme sont vécues à l’école, dès les petites classes. M. Dirk Jacobs, professeur de sociologie à l’Université libre de Bruxelles, a analysé les résultats d’une enquête du Programme international pour le suivi des acquis (PISA) qui évalue et compare le niveau des élèves des 36 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans une interview au journal «Le Soir», le professeur dit qu’“en Belgique, l’écart de niveau entre les enfants issus de l’immigration et les autres est un des plus importants des pays industrialisés. Cela peut être identifié comme une discrimination institutionnalisée, non souhaitée, mais bien réelle, liée à la ségrégation scolaire avec des écoles et filières dites «préférables» pour certains groupes”.

Dans son étude intitulée «Aller au-delà de la ségrégation scolaire», il précise que le retard des élèves issus de l’immigration s’explique en grande partie par le fait que ces derniers sont surreprésentés parmi les franges socioéconomiques défavorisées. Mais même chez les enfants issus de milieux plus favorisés et parlant le français à la maison, un retard est  également observé. Ce constat suggère qu’une discrimination liée à l’origine ethnique vient se superposer à l’origine sociale.

En analysant les décisions de conseils de classe, des chercheurs ont ainsi montré que les motivations variaient selon les profils des élèves. Le professeur Jacobs explique dans son interview que “le genre, l’origine sociale et l’origine ethnique jouent un rôle dans la probabilité d’être réorienté. D’où l’importance de sensibiliser sur les  stéréotypes «inconscients»”.

Madame la Ministre, avez-vous pris connaissance du résultat de l’analyse faite par le professeur Jacobs sur l’enquête PISA? Quelles solutions concrètes comptez-vous promouvoir afin que l’écart entre les enfants issus de l’immigration et les autres diminue? Comment expliquez-vous que les conséquences malheureuses de l’origine migratoire ne disparaissent pas et que les élèves de deuxième génération continuent d’obtenir des résultats plus faibles? C’est d’ailleurs d’autant plus vrai si ces élèves ne sont pas issus d’un pays européen. J’entends bien que le cours sur le colonialisme permettra d’ouvrir les consciences. Ne faudrait-il pas élargir ce projet afin de sensibiliser les enfants et les jeunes sur les stéréotypes inconscients cités dans l’étude, et ce, dès la maternelle et tout au long des différents parcours scolaires?

“Un travail de longue haleine”

La Ministre Désir s’estime très préoccupée par l’écart des performances entre les élèves issus de la migration et les autres. “Ces écarts sont mis en évidence systématiquement par les enquêtes PISA; ils ont été relevés à juste titre par le professeur Dirk Jacobs. S’ils se réduisent graduellement, il s’agit néanmoins d’un travail de longue haleine qui ne peut pas trouver son aboutissement du jour au lendemain. L’encadrement différencié est déjà un dispositif destiné à amener des moyens dans les écoles et les centres psycho-médico-sociaux (PMS), là où ils sont nécessaires et là où sévit l’insidieuse discrimination économique et sociale. Nous devons garder cet élément à l’esprit dans l’ensemble de la réforme de notre système scolaire qui est entreprise avec le Pacte pour un enseignement d’excellence. Le Pacte vise, dans son essence même, à réduire les inégalités entre les élèves. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des chantiers qui doivent contribuer à cet objectif: du renforcement de l’encadrement en maternelle jusqu’à la réforme de l’orientation en passant par l’accompagnement personnalisé. C’est une réforme systémique: nous ne pouvons pas travailler sur l’un de ces chantiers séparément des autres. La réforme de la formation initiale apportera, elle aussi, un éclairage en la matière aux futurs enseignants. Je suis persuadée qu’il faut aussi que ces derniers aient conscience de la différence significative des résultats entre les enfants, issus de l’immigration ou non, venant de milieux défavorisés ou non, afin qu’ils modifient leur représentation en la matière. Concernant les nouveaux référentiels du tronc commun, une place sera spécifiquement accordée aux questions du racisme, de la discrimination et des stéréotypes.”

Une mauvaise orientation scolaire peut briser une vie.  Plusieurs générations d’élèves ont été ainsi sacrifiées. Les mots sont forts, à la mesure de ces réalités. Les travaux de Bourdieu nous éclairent sur les phénomènes de reproduction sociale. Ici apparaît une donnée supplémentaire: l’origine. J’ai moi – comme d’autres – eu connaissance du cas de ce conseil de classe qui s’est tenu dans une haute école bruxelloise, où des propos inacceptables ont été prononcés. Des abus existent donc. Mais à titre personnel, pour avoir participé à de nombreux conseils de classe, je vous assure toutefois que le phénomène est tout à fait marginal. J’irai même plus loin; parfois, tout part d’une bonne intention: «Vu le milieu d’où elle vient, ce n’est déjà pas si mal qu’elle termine sa sixième». La méconnaissance des mécanismes comme ceux liés aux stéréotypes et à la discrimination va jusqu’à générer une impression de “bien faire”. L’inconscient joue ici un grand rôle.

Toutefois, je prends note de la détermination de la Ministre Désir à lutter activement contre ces phénomènes. L’espoir est permis, et je resterai attentive à la suite des travaux à ce sujet.