Fake news: éduquer, informer, lutter
La crise que nous traversons actuellement ne fait que le confirmer: la propagation sans limite de “fake news”, ces infos fabriquées pour semer le doute dans l’opinion publique, a des conséquences dramatiques. Sur la santé, le vivre-ensemble, le sens commun. Si certaines de ces fausses informations sont grossières et évidentes aux yeux du plus grand nombre, d’autres sont travaillées de telle manière qu’on ne peut que difficilement distinguer le faux du vrai.
L’usage de la désinformation par des leaders d’opinion, voire par des représentants politiques – notamment d’extrême-droite – ne fait qu’alimenter la confusion, le conflit, la méfiance. Il est plus que temps de donner des clés pour que chacun soit armé face à ces “news” qui n’en sont pas.
53 recommandations
Au Sénat, je participe à la commission Affaires transversales, en charge de cette question. Plusieurs auditions ont été organisées entre juin 2020 et février 2021 avec les acteurs du terrain et experts. Le Sénat a ainsi formulé 53 recommandations pour lutter efficacement contre ces fake news.
Vous trouverez ici un extrait de ma récente intervention à ce sujet.
“Ici comme ailleurs, l’ignorance n’est produite que pour être exploitée. En même temps que se perdent ensemble le sens de l’histoire et le goût, on organise des réseaux de falsification. Il suffit de tenir les experts et les commissaires-priseurs, et c’est assez facile, pour tout faire passer puisque dans les affaires de cette nature, comme finalement dans les autres, c’est la vente qui authentifie la valeur.”
L’écrivain et cinéaste Guy Debord, commentaires sur la société du spectacle 1988.
L’essentiel tient dans cette introduction littéraire, vieille de plus de 30 ans, ce qui en termes de nouvelles technologies correspond à la préhistoire. A l’heure des réseaux sociaux, l’ignorance est produite pour être exploitée. Et c’est l’argent (les publicités sur les réseaux) , les algorithmes (ce que Debord appelle des experts) qui déterminent l’intérêt d’une publication.
Tout d’abord, de quoi parle-t-on ?
D’emblée, je rappellerai les propos du professeur Van Aelst, Professeur en sciences politiques à l’université d’Anvers qui s’est exprimé en commission lors des auditions: « l’utilisation du terme «infox» (ou de l’anglais «fake news») n’est effectivement pas très heureuse. Elle a notamment été dévoyée par l’utilisation abusive par Donald Trump qu’il l’utilisait comme qualificatif pour toute information qui ne correspondait pas à sa vision du monde. Il est préférable de parler de «désinformation».
Car le sujet qui nous intéresse aujourd’hui va plus loin que de la fausse information, c’est aussi des récits contenant des faits déformés, de diverses formes de mauvais journalisme ou encore des apparences d’une information sérieuse (pièges à clic ou clickbait en anglais).
En quoi la situation vécue aujourd’hui est-elle inédite ?
Nous nous situons dans un contexte de post-vérité et de faits alternatifs. En 2016 déjà, le dictionnaire Oxford English, une référence dans le monde anglo-saxon, choisissait la post-vérité (post-truth) comme « Mot de l’année ».
La post-vérité désigne les « circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur la formation de l’opinion que l’appel aux émotions et aux croyances personnelles »
2016 est par ailleurs l’année du référendum sur l’avenir du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne ayant découlé sur le Brexit, et celle de la dernière élection présidentielle américaine aboutissant à l’élection de Donald Trump : deux scrutins marqués par l’utilisation de « faits alternatifs » par les protagonistes et par des campagnes de désinformation menées par des Etats tiers.
Une ampleur démultipliée par Internet
Ces campagnes de désinformation et la propagation de la désinformation font partie des nouvelles méthodes de guerre hybride qui combine des moyens et des méthodes militaires et non militaires afin de déstabiliser des pays.
Ces tentatives d’ingérence de pays étrangers ne sont pas neuves. Toutefois, elles tendent à se multiplier et prennent une ampleur inégalée depuis le développement d’Internet et surtout au travers des réseaux sociaux, qui ont fait leur apparition au milieu des années 2000.
A grande échelle, elles représentent un réel danger car elles sont de nature à déstabiliser nos processus démocratiques.
On assiste à des offensives de ce type particulièrement en périodes électorales. Ce fut le cas lors de la présidentielle américaine de 2016 et également par après dans d’autres campagnes électorales dans d’autres pays européens ou non.
Le phénomène ne se limite pas à l’ingérence en vue d’influencer des processus électoraux. Cette stratégie est utilisée de manière continue pour favoriser les intérêts d’un Etat en particulier, pour mettre à mal la cohésion de l’Union européenne, d’Etats démocratiques, de sociétés ou d’organisations internationales telles que l’ONU ou l’OTAN.
Les campagnes de désinformation peuvent être menées par des puissances étrangères mais pas uniquement. Elles prennent également des formes très diverses et utilisent des techniques variées. Les acteurs de la manipulation ont fait l’objet d’un volet du rapport d’information soumis à examen. Je renvoie au texte du rapport qui on ne le dira jamais assez est d’une grande qualité.
Une image biaisée de la réalité
Certains partis politiques utilisent de plus en plus souvent sur Facebook ce genre de citations extrêmement sélectives contre leurs adversaires. Cela donne évidemment aux citoyens une image biaisée et les induit par conséquent en erreur.
Ces acteurs peuvent également être des organisations non gouvernementales fantoches pilotées par les intérêts d’un pays en particulier ce qu’on appelle des GONGO (government-organized non-governmental organization), c’est-à-dire des organismes non gouvernementaux soutenus par un Etat pour promouvoir les intérêts de celui-ci à l’étranger. Des groupements religieux, économiques ou politiques peuvent également utiliser des stratégies de désinformation.
Des techniques variées…
Les techniques de désinformation sont nombreuses et de plus en plus sophistiquées.
C’est un constat, l’arrivée des réseaux a renforcé l’efficacité des méthodes de désinformation pour diviser les sociétés et polariser le champ politique de nos démocraties, avec l’objectif de semer le doute sur la véracité de faits et formaliser une absence de vérité objective.
Quelques exemples :
- Copier, imiter en tous points dans l’apparence un site d’informations fiable, tout en manipulant le contenu
- Faire faire et faire dire presque n’importe quoi à n’importe qui dans de faux enregistrements ou de fausses vidéos.
- Annoncer de fausses nouvelles reprises par les médias traditionnels habituellement sûrs.
De même que les médias « traditionnels » peuvent tomber dans le piège des fake news, des politiques sincères peuvent répercuter par imprudence des informations manipulées.
… tout comme les réponses à donner
Les approches pour combattre la désinformation sont nombreuses, les réponses variées et complexes et les acteurs multiples. De l’OTAN et des armées des pays membres, aux enseignants… Des techniques de communication stratégique à l’éducation aux médias dès le plus jeune âge.
Amplifier l’éducation aux médias, à la citoyenneté et le développement de l’esprit critique sont des réponses indispensables aux phénomènes de post-vérité et de désinformation. Et elle doit débuter le plus tôt possible et se poursuivre tout au long de la vie.
Je reprendrai pour terminer les propos de Mme Martine Simonis. Elle est secrétaire générale de l’Association des journalistes professionnels (AJP) et secrétaire nationale de l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique (AGJPB) :
« La lutte contre la désinformation et les infox n’est pas seulement une question de plateformes, d’algorithmes ou de mégadonnées. C’est une question sociétale, dont l’amplitude touche aux fondements de nos démocraties, à la confiance en l’État de droit et l’information ainsi qu’à la cohésion sociale ».
Mon intervention dans son intégralité
Fatima Ahallouch